Ecole de la Grue blanche

Ce sont les taolu à main nue de l’école. Chaque forme correspond à un style de grue. Chaque style de grue se spécialise sur un jing et une stratégie.

Su He Quan : le style de la grue qui se repose

Ming He Quan : Le style de la grue qui chante

Fei He Quan : le style de la grue qui s’envole

Shi He Quan : le style de la grue qui mange

Zhen He Quan : le style de la grue qui s’ébroue

Yao He Quan : le style de la grue qui joue, s’ébat

Ci Xiong Quan He : Principes femelle et mâle d’un couple de grue (tao à 2)

Le travail des formes : sens et méthodes

Dans les Arts Martiaux Chinois, Okinawaïens et japonais, on trouve, au centre de la pratique, le travail des formes codifiées. Au centre d’une pratique mais aussi au centre de beaucoup de malentendus, d’incompréhension, de compréhension partielle ou tronquée.

Cet article se propose de donner des pistes, des éclairages, sur ce qu’est ou peut être le travail des formes compris dans son extension.

Ce ne sont que des pistes générales sur le paysage général de l’usage des formes dans les Arts Martiaux. Il n’y a ici aucune exhaustivité sur tout ce qu’on trouve dans les formes ou tout ce qui s’y travaille.

Globalement on peut distinguer quatre phases dans le travail des formes :

1. La phase de construction 

2. La phase de déconstruction

3. La phase de l’expression spontanée (ziran en chinois, «

naturel, spontané, aisé »)

4. L’articulation avec le combat

1. La phase de construction

Comme son nom l’indique on construit la forme. Construire la forme, ça veut dire bien sûr apprendre et mémoriser l’enchainement des mouvements (daolu, kata…), mais aussi construire une « forme de corps » propre au style exprimé par cette forme. 

La phase de mémorisation n’est pas considérée dans notre école comme étant déjà la pratique. La pratique de la forme commence une fois que la forme a été mémorisée.

Ce premier niveau, la construction de la forme, constitue la base, au sens de fondations. Les fondations ne sont pas la maison, on ne peut pas encore « habiter » les fondations, mais sans elles, rien de solide ne se construit. Dès cette première phase des éléments utiles et nécessaires à la pratique martiale apparaissent. L’apprentissage d’une forme passe par deux méthodes principales : le mimétisme global et l’analyse séquentielle. 

Dans de nombreux styles anciens (ou récents dans leur création mais qui retrouvent des méthodes anciennes) on trouve l’apprentissage d’une forme par mimétisme : la forme s’apprend de façon globale et l’élève doit « coller » aux mouvements et à la dynamique de la forme. La mémorisation mentale précise est ici impossible et le mental-conscient est vite débordé par la forme. Le propos est alors « d’apprendre par le corps » sans chercher à maitriser ou à contrôler précisément les mouvements. Ce qui importe ici c’est la dynamique générale, les grandes lignes, la rythmique. Le développement de la capacité à « coller » à « suivre » se retrouve dans le travail à deux (tuishou, sanshou, sparring...).

  

Cette approche est complétée par l’apprentissage «analytique» de la forme qui découpe, dissèque, mouvement après mouvement, posture après posture, les composants de la forme : positionnement dans l’espace, structure du corps, connexions articulaires, connexion entre le mouvement/posture, le souffle, l’attention ou l’intention. Dans cette phase on peut pratiquer la forme comme un enchainement de postures comprises comme autant de moments type Zhan Zhuang. C’est la méthode « pas à pas » où l’on s’assure de la justesse d’une posture avant de passer à la suivante.

L’articulation de ces deux approches doit permettre de construire à la fois la rectitude, l’alignement, la stabilité de la forme de corps et la fluidité, l’enchainement, la rythmique.

La phase de construction s’enrichit de tout le travail de structuration du corps qui peut se faire dans et par la forme mais qui y associe tous les exercices connexes de structuration: qi gong, nei gong, utilisation des outils, etc.

Cette phase doit être travaillée suffisamment longtemps pour que la forme soit digérée, intégrée, assimilée par le corps. La forme doit devenir comme une seconde nature, un automatisme, comme conduire. Il y a ici la notion d’une fidélité à la forme canonique, classique, telle qu’elle nous a été transmise… afin de la retransmettre.

Dans cette phase la possibilité d’exécuter la forme en symétrique, les yeux fermés et sur place participe à son intégration corporelle. 

2. La phase de déconstruction

On appelle aussi cette phase « pétrir la forme ». Le propos général est d’éviter que la forme ne devienne une coquille rigide, un répétition stérile et stéréotypée qui se transmet indépendamment d’un contenu, d’un sens. 

Dans cette phase on va introduire des contraintes qui vont déconstruire et assouplir ce qui a été préalablement construit et intégré. Ces contraintes peuvent être travaillées seules ou avec des partenaires.

Voici quelques exemples d’exercices de déconstruction : 

- Travailler la forme avec un bras mort

- Pratiquer la forme dans un espace restreint et s’adapter en transformant les temps d’avancer/reculer

- Modifier les rythmes : de très lent à très rapide en passant par des rythmes imposés

- Modifier les goûts d’exécution : fluide, cassant, avec ou sans fajing, lourd, léger, ramassé, étendu...

- Modifier les angles, l’embusen : au lieu de tourner à 90°, on tourne à 180°… sans modifier la dynamique.

- Varier les intentions qui nourrissent les techniques.

Plus on avance dans cette phase, plus il devient difficile de décrire ce qui s’y travaille en dehors de la relation professeur/élève.

3. La phase de « forme spontanée »

Dans cette phase, la forme devient comme une trame de base sur laquelle le pratiquant s’exprime. Un peu comme une rythmique de base à partir de laquelle l’improvisation va s’éloigner et revenir. 

Certains styles possèdent des portes qui permettent de passer d’une forme à l’autre (dans la forme) sans temps d’arrêt. Ainsi les formes d’un même style se composent et se décomposent, dans une possibilité de combinaison très riche. 

Les formes viennent alors enrichir la pratique libre et éviter que celle-ci ne tourne qu’autour de quelques mouvements. Le circulaire peut devenir linéaire, le linéaire circulaire. Le pratiquant se libère ici de la forme codifiée à l’intérieur d’une forme de corps qui devient le garant et la condition de possibilité d’une expressivité et d’une souplesse d’adaptation des principes du mouvement à des conditions martiales.

C'est dans les deux dernières phases que les ponts et les liens entre forme et combat apparaissent. Il est donc évident que si ces phases sont ignorées, les formes vont apparaitre comme sans intérêt pour le combat.

4. Formes et combat

Je voudrais évoquer ici quelques pratiques et directions de pratique qui vont commencer à articuler, sous différents angles, le travail des formes et la visée du combat.

 

Je vais vous parler ici de différents exercices qui impliquent un ou plusieurs partenaires. Je développe donc un des points cités en 2. Ce n’est pas une liste exhaustive et progressive de ces exercices. Ils sont nombreux et on peut même en créer selon des besoins spécifiques. 

Ces exercices se répartissent dans deux grands groupes : soit le pratiquant reste fixé sur la forme et la réalise "coûte que coûte", soit il adapte la forme à la situation. 

I. La pratique de "coller à la forme" 

NB : L'ensemble de ces exercices permettent d'intégrer la forme à niveau supérieur. 

La consigne est simple : il s'agit ici de réaliser la forme du début à la fin, sans erreurs, sans interruption du Yi, ni du mouvement.

 

Mais en même temps le ou les partenaires vont introduire des perturbations d'intensité croissante. On commence par pousser l'exécutant, puis on le bouscule franchement. On frappe les bras, les jambes. Cela va avoir pour effet de "tester" la structure, de mettre en lumière les fragilités structurelles. 

Les partenaires peuvent aussi introduire des saisies actives. Là encore, le pratiquant doit, impassiblement, continuer la forme. 

Le ou les partenaires peuvent ensuite, en plus des phases précédentes, chercher à capter l'attention du pratiquant : feintes, sons, perturbations visuelles (comme cacher les yeux du pratiquant), cris... Ici tout est permis et, là encore, le pratiquant doit, impassiblement, continuer la forme sans se laisser capter par l'ensemble des perturbations extérieures. 

Tous ces exercices peuvent s'avérer très perturbants au début et mettent très vite en lumière ce que doit être la continuité du Yi dans la pratique des formes.

 

Cela travaille ce qu'en Grue nous appelons le Yi interne. 

II. La pratique "sortir et revenir" à la forme

Autant, dans la pratique de "coller à la forme", on doit aller jusqu'à nier l'autre pour rester établi en soi-même, autant, dans cette pratique, il s'agit de prendre en compte et de s'adapter aux actions de l'autre : c’est ce que nous appelons le Yi externe. 

Le prisme des exercices est très large mais ils sont régis par le même principe : le pratiquant commence sa forme, le ou les partenaires rôdent autour. Tant qu'ils restent hors distance, le pratiquant continue sa forme. Dès qu'un partenaire enclenche une action (poussée, saisie, coup), le pratiquant lâche la forme pour gérer l'action de l'autre. Dès que l'autre se retire, le pratiquant reprend la forme là où il s'est interrompu. 

Ce principe se décline ensuite sous diverses formes : 

- Dès qu’un des partenaires entre dans mon cercle (distance moyenne), j'enclenche une action sur lui. Dès qu'il rompt la distance, je reprends. 

- Dès qu'un partenaire crée un contact sur n'importe quelle partie de mon corps, je rentre en tuishou avec lui. Dès qu'il lâche le contact, je reprends. 

- Le partenaire enclenche une saisie active, je me débarrasse de la saisie, (on peut décider par dégagement, clé, projection...) et je reprends. 

- Le partenaire attaque, je gère la ou les attaques, et je reprends.

Un autre exercice, sans contact, consiste à faire la forme en gardant toujours le partenaire qui se déplace autour de moi dans l'empan visuel. 

Une fois ces exercices devenus un peu familiers, il y a d'autres paramètres à rajouter comme éviter les ruptures ou conserver, dans le contact, la dynamique de la forme. L'idée est d'éviter les ruptures entre forme et non-forme en conservant la dynamique de la forme dans le spontané. 

Il y a ensuite d'autres niveaux de pratique de ces exercices mais qui deviennent difficiles à décrire et sans doute inintéressants s'ils ne sont pas enseignés de personne à personne. 

Ces deux pratiques, Coller à la forme et Sortir et revenir travaillent deux modalités importantes du Yi, de l'intention, complémentaires : 

- Ne pas se laisser capter, influencer par l'autre, rester impassible, nier l'autre et rester centré en soi-même. 

- S'adapter à l'autre, agir en fonction de l'autre, développer le sens de la distance, le sentiment du contact mais sans se laisser happer par l'autre, sans rupture du Yi.

Gilles Roghe